• LA GARANTIE DES VICES CACHÉS

    Si l’on excepte quelques maladies infectieuses devenues, aujourd’hui et, grâce à la vaccination, relativement rarissimes (maladie de Carré, parvovirose, hépatite contagieuse — citées plus haut), les éleveurs et les acheteurs sont essentiellement confrontés à des problèmes de tares d’origine génétique qui apparaissent après la livraison du chiot, quelques semaines ou quelques mois plus tard.

    L’appréhension des tares génétiques n’est pas chose aisée car la plupart des tares ne sont pas liées à un déterminisme simple mais à une prédisposition héréditaire associée à un déterminisme polygénique et, les certitudes sont donc rares dans ce domaine ; on peut citer, par exemple le problème de la dysplasie, maladie qui pose encore énormément de questions aux scientifiques.

    Il y a donc un fossé entre les certitudes dont a besoin le juge et les hypothèses au-delà desquelles le scientifique n’ose s’aventurer.

    La difficulté pour le juge de trancher dans un conflit sur une vente entachée d’une tare génétique présumée est telle qu’un contrat bien rédigé au départ sera déjà un allié précieux pour les parties. Les actions engagées sur cette base sont, la plupart du temps, aléatoires et résiduelles, la réalité de l’antériorité du vice par rapport à la vente étant difficile à établir compte tenu des raisons exposées ci-dessus.

    Concernant les maladies génétiques prises en compte par la loi, on doit reconnaître que cette dernière ne s’est pas beaucoup avancée puisqu’elle n’en reconnaît que trois, à savoir, la dysplasie, l’ectopie testiculaire et l’atrophie rétinienne (art 284 et suivants du Code Rural) ; il s’agit d’un régime dérogatoire au droit commun et, le gros avantage de cette législation par rapport au droit commun, c’est que l’acheteur n’a à prouver, ni l’antériorité du vice par rapport à la vente, ni sa gravité dès lors qu’il respecte la procédure spécifique mise en place. Il s’agit d’une nullité de droit, de la vente.

    LÉGISLATION DES VICES RÉDHIBITOIRES DU CODE RURAL

    Ses inconvénients:

    1 – Elle est extrêmement limitative :

    Il existe des centaines d’affections génétiques et on n’aperçoit pas pourquoi le législateur n’en a retenu que trois, d’autant plus que le caractère héréditaire de la dysplasie est contesté, le diagnostic difficile et qu’il existe d’autres maladies proches de la dysplasie qui ne sont pas prises en compte (nécrose de le tête du fémur chez le west highland par exemple).

    2 – Elle est quasiment impossible à mettre en œuvre tant les textes sont porteurs d’ingérables contradictions.

    · La dysplasie coxofémorale : nous savons tous que cette affection se développe au fur et à mesure de la croissance de l’animal et peut se détecter des mois, voire des années après la vente ; or, la loi prévoit qu’elle s’applique « aux animaux vendus avant l’âge d’un an et que tous les examens radiographiques pratiqués jusqu’à cet âge sont pris en compte » mais, ce même texte impose par ailleurs d’introduire l’action en justice pour annulation de la vente dans les trente jours à compter du jour de la livraison. Cette contradiction interdit donc toute action concernant ce vice ; en réalité, cette disposition aurait mérité de fixer le délai d’action jusqu’à ce que le chiot ait atteint l’âge d’un an.

    · L’ectopie testiculaire : là encore la loi fruste l’acheteur malheureux de toute action puisque l’ectopie ne constitue un vice rédhibitoire que pour les chiots âgés de plus de six mois (ce qui doit être compris : chiots vendus après l’âge de 6 mois) et que le délai d’action est de un mois à compter du jour de la vente. Dans la pratique, rares sont les chiots vendus après l’âge de six mois et, dans ce cas, peut-on encore parler de vice « caché » concernant cette affection très visible ?

    Procédure à mettre en oeuvre:

    Tout d’abord, rappelons que c’est à partir du jour de la livraison de l’animal que courent les délais. Le délai important pour l’acheteur est celui de la nomination des experts qui se fait par une requête au greffe du Tribunal d’Instance du lieu du domicile du défendeur. Ce délai est de 30 jours. Un diagnostic de suspicion préalable établi par un vétérinaire est nécessaire pour les maladies infectieuses.

    L’ordonnance du juge portant nomination des experts est signifiée dans les trente jours à compter de la livraison du chien. Cette signification indique la date de l’expertise et convoque les parties pour y assister. Les conclusions sont ensuite transmises au juges et aux parties qui peuvent alors transiger et trouver une solution amiable selon la teneur des conclusions de l’expert. À défaut d’un accord amiable et sous réserve que l’acheteur ait assigné le vendeur dans le délai d’un mois, un jugement pourra être rendu.

    On voit donc que cette procédure est finalement assez lourde et entourée de délais d’action souvent trop courts pour que l’acheteur ait le temps de réagir.

    En cas de vices rédhibitoires le vendeur est tenu à la restitution du prix et au remboursement des frais occasionnés par la vente (art. 287 du Code Rural). On réalise que cette disposition est plus adaptée aux animaux de rente à l’opposé des dispositions du droit commun (art. 1644) qui prévoit que le vendeur a le choix entre « rendre la chose » (l'animal est considéré comme une chose par la loi !) et se faire rembourser le prix ou la garder et s’en faire rembourser une partie, ce qui nous amène à examiner l’action en garantie pour vices cachés prévue par l’article 1641 et suivants du Code Civil.

    ACTION EN GARANTIE POUR VICES CACHÉS
    (article 1641 et suivants du Code Civil)

    Il est de jurisprudence constante que lorsqu’un texte particulier et un texte général entrent en conflit, le texte particulier l’emporte sur le texte général ; la priorité du texte particulier sur le texte général a été rappelée récemment par la Cour de Cassation (Cas Civ. 6 mai 2001) ; il en résulte donc qu'en appliquant ce principe à la lettre, les vices cachés autres que ceux prévus par le Code Rural ne peuvent être invoqués. Une telle situation laisse les acheteurs démunis quand leur chien est affecté d’une maladie héréditaire non-prévue par le Code Rural (ex. : maladie cardiaque).

    Les tribunaux, conscients du caractère injuste de cette situation, ont très vite amendé la rigueur des textes par une jurisprudence plus souple utilisant une fiction juridique qui introduit la notion de « garantie tacite ».

    Ils ont été aidés en cela par l’article 284 du Code Rural ainsi rédigé : « les dispositions concernant les vices rédhibitoires des espèces domestiques s’appliquent, à défaut de conventions contraires ».

    Ainsi, il a été jugé que « la garantie du vendeur pour le vice caché de la chose vendue peut résulter implicitement de la nature de la chose vendue et du but que les parties se sont proposé » (Cas Civ. 11 mai 1971).

    La jurisprudence a même demandé aux juges de rechercher cette volonté implicite qui se déduit par exemple de la destination de l’animal, la qualité professionnelle de l’acheteur ou du vendeur, du prix payé.

    En dehors de toute convention contraire tacite, la Cour de Cassation, dans deux Arrêts du 20 novembre 1990 et 16 juin 1992, a indiqué sans équivoque, que « la législation dérogatoire du code rural concernant les vices rédhibitoires des chiens et des chats n’a, en aucun cas, pour effet, d’interdire à l’acheteur l’exercice des actions en garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code Civil ».

    Il y a donc un choix, selon le vice et les circonstances du litige entre le recours aux vices rédhibitoires du Code Rural (qui ne sont pratiquement d’aucune utilité) et du droit commun (Cour de Cassation 9 janvier 1996).

    Ainsi, la dysplasie, l’ectopie testiculaire ou l’atrophie rétinienne peuvent faire l’objet d’une action basée sur le texte général des vices cachés quand, pour des raisons de délais, l’action ne peut s’appuyer sur les textes du Code Rural.

    Le retour au droit commun a cependant un inconvénient majeur, à savoir qu’il appartient au demandeur de prouver l’antériorité du vice par rapport à la vente, qu’il est caché et grave. Tout le problème est de rapporter la preuve de l’antériorité compte tenu du caractère polygénique de la plupart des affections présumées héréditaires. De fait, c’est plus le caractère congénital (présent à la naissance) que le caractère héréditaire (plus difficile à établir) qui est pris en compte.

    La procédure de droit commun est plus souple concernant les délais d’action ; toutefois, il est nécessaire d’engager l’action « dans un bref délai », le point de départ commençant au jour de la découverte du vice.

    L’acheteur a le choix entre l’action rédhibitoire (restitution du chien contre remboursement du prix payé) ou estimatoire (conservation de l’animal et restitution d’une partie du prix).

    On voit donc clairement que le retour au droit commun est favorable à l’acheteur quand l’animal présente une tare génétique réputée congénitale.

    Dans tous les cas et une fois l’affection établie, le bon sens et le souci de sa réputation doivent inciter le vendeur à chercher un arrangement amiable tout en s’assurant que le principe du contradictoire soit respecté et qu’il puisse faire vérifier les allégations de l’acheteur par son propre vétérinaire.

    La notion de « vice caché » ne concerne pas uniquement les maladies héréditaires ou congénitales et peut s’appliquer à la destination de l’animal ; ainsi, un chien de chasse qui aurait peur des coups de fusil ou un chien de garde laissant entrer les étrangers peut être considéré comme atteint d’un vice caché qui le rend impropre à l’usage auquel il était destiné.

    La question est plus délicate pour un chien dit "d'agrément" qui ne remplirait pas la fonction pour laquelle il a été acquis et qui serait par exemple agressif ou mordeur. L'acquéreur devrait, dans ce cas, établir que ce comportement n'est pas la conséquence d'une mauvaise éducation de sa part mais que le vice dont est atteint l'animal est antérieur à la vente et dû, par exemple, aux conditions d'élevage chez l'éleveur.

    Soulignons enfin que, pour faire annuler une vente, et lorsque les moyens ci-dessus énoncés ne sont pas applicables ou s'il veut présenter une argumentation subsidiaire pour renforcer l'argumentation principale, l'acheteur peut invoquer le vice du consentement (art. 1110 du Code Civil) en démontrant que son consentement a été trompé et que, s'il avait connu l'existence du vice qu'il invoque, il n'aurait pas contracté.

     

    Il reste que la véritable arme du vendeur se situe dans le contrat qui, s’il est bien rédigé peut prévenir bien des contestations. Il suffit notamment que l’éleveur limite sa garantie à la garantie légale du Code Rural pour que toute action de l’acheteur fondée sur le droit commun soit vouée à l’échec.

    Par ailleurs, il est prudent de prévoir dans le contrat qu’aucun frais vétérinaire ne sera pris en charge par le vendeur sans son accord express, y compris en cas de vices rédhibitoires. Ceci évite pour le vendeur d’avoir à régler ce qui peut s’analyser comme des actes de disposition, faits parfois sans souci d’économie ou d’utilité.

    Bien entendu, certaines clauses trop restrictives pourront être considérées comme abusives par les tribunaux ; pour autant, elles auront le mérite de dissuader l’acheteur d’engager une action en justice.

    Enfin, les tribunaux se soucient de la qualité des parties au contrat. Ainsi, certaines clauses limitatives de garantie peuvent être considérées comme abusives quand le vendeur est un professionnel, sauf entre vendeurs professionnels de la même spécialité (Cas. Civ. 31 mars 1989). Il reste bien sûr à préciser ce qu’est un professionnel. Certes, la jurisprudence considère que le professionnel est celui qui fait de l’élevage sa profession habituelle, mais, comme cette notion est en train d’évoluer sur le plan des obligations vis à vis du régime agricole, on peut se demander si celui qui produit plus d’une portée par an n’est pas devenu, lui aussi, un professionnel.





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